samedi 28 septembre 2013

Bon, bon bon, ça devient "fourre tout" ce blog
Certes. Mais voici une chronique qui ne paraîtra pas dans le numéro deux de l'Auxois-Morvan magazine auquel il était destiné. On l'a écrit alors on préfère penser qu'il sera lu...


Les Marcheurs de l'Auxois-Morvan II
Forêt au duc

Sur la place, le parking est plein. Le soleil n'est pas venu aujourd'hui mais les parasols sont en terrasse. Sur le trottoir d'en face, des gens font la queue pour du chocolat. Une dame regarde sa fille qui étale entre la tasse de café et le verre plein de rose son coffre aux trésors : une plume grise, trois cailloux, un pissenlit fané, une petite coquille d’œuf brisée, un escargot vivant. « Tiens Maman ». « Maman » recueille le pissenlit fané et le pose en équilibre sur sa tasse. On écoute des gens se parler de la grêle, de la voisine, des horaires de piscine. On ne dit rien pendant que du vent s'amène, que des voitures se garent, que des gens se baladent. Le soleil n'est pas venu mais comme il n'est pas parti loin, il y a de la lumière qui traverse le gris des nuages.
On ne dit rien, on revient de La Roche aux Fées.

On suivait le chemin en discutant de tout de rien, du temps. Sur le sentier, il y avait un scarabée en armure brillante. Le jour s'effaçait, la lune était déjà là, pas bien sûre d'elle mais accrochée aux cimes des sapins là-bas, loin. On a regardé le scarabée et puis on a arrêté de parler. Les mains dans les poches, on a continué, chacune à son rythme jusqu'à se perdre. On s'est retrouvées devant un panneau « La Roche Aux Fées 30 mètres »
On a avancé, à travers les arbres qui grinçaient on commençait à apercevoir la pierre. Le soleil s'est caché en entier, plus de lueur derrière les nuages, c'était gris presque noir. On s'est arrêtées. Un arbre a craqué, c'était comme un souffle. On s'est tournées pour le chercher. Il a craqué, c'était comme un cri. On l'a vu. Il était juste devant nous, c'était comme s'il voulait nous parler.
« Il dit : attention à la Mère Lusine.
- Oui, j'entends ça aussi.
- C'est vrai, alors, tu crois ?
- Qu'il y a une Mère Lusine ? »
« Une Mère Lusine » a répété l'arbre craquant.
Derrière les nuages, ça s'est éclairé de nouveau, entre lune et soleil et on a vu une silhouette comme sortie de l'arbre. C'était quelqu'un et il se tenait juste devant, appuyé sur le tronc, ses cheveux mélangés sur l'écorce et les pousses de branches.
« Des fées ont habité là. Déjà au temps où les croyances saintes venaient pousser les païennes. Des fées sont venues se réfugier ici. Elles ont extirpé de la terre un palais de roche brute. Laissant croire à ceux qui ne voulaient plus les voir que c'était juste un gros rocher en forme de brioche. »
Un peu surprises, ne sachant pas vraiment à qui on avait affaire, on a quand même laissé s'emballer notre curiosité.
« Des fées ?
- Oui. Mais elles ne se montraient pas. Il y a beaucoup d'êtres ici, qui ne se montrent que dans les rêves, les contes, les promenades solitaires et les errances de rêveurs, vous ne le saviez pas ?
- Si, sans doute, on le savait presque, on n'ose pas toujours y croire. Et vous ?
- Non, moi ce n'est pas pareil. Je suis elficologue, j'étudie, j'observe, je cherche. Et parfois je trouve des âmes avec qui partager. J'ai vu quelque chose d'extraordinaire aujourd'hui, ici. Venez ! »
On l'a suivi.
« Vous voyez ceci ? »
On a regardé : c'était de longs fils de toile d'araignée tendus entre deux arbres.
« Dans les livres, ça s'appelle des fils de la Vierge non ?
- Ça s'appelait les fils des fées, nous a-t-il répondu, c'est là-dessus qu'elles font sécher leurs jupes en pétales d'orchidée sauvage et leurs corsages de mousse étoilée. Chut ! Écoutez ! »
On a tendu l'oreille. On a entendu comme des chuchotis venant de dessous les feuilles des chênes.
« Des comptines. Ce sont des comptines jetées au vent, s'est écrié ce drôle d'homme, vous n'entendez pas ? : lundi, mardi, mercredi ... »
On s'est bien concentrées. Oui, peut-être, mais ça n'était pas très clair.
«  … jeudi, vendredi, samedi … Et voilà, elles recommencent. Si vous aviez la chance qu'elles se montrent à vous, il suffirait de leur apprendre que le dernier jour de la semaine est le dimanche et, ravies, elles exauceraient votre vœu le plus cher. »
Puis le vent s'est tu et on a plus rien entendu. On s'est assises contre les pierres et on a écouté le drôle d'homme.
Il y a des gens qui étudient nos dents, d'autres nos os, notre peau, notre société, les roches, la mer. Des explorateurs pour découvrir le monde, des astronomes pour chercher les étoiles. Pour le monde des fées, qui fait partie du quotidien de ceux qui nous ont précédé, il y a les elficologues. Que mange une Mère Lusine ? Où se cache La Vouivre? De quels instruments jouent les Elfes ? Où vivent les Nains ?
L'homme qu'on a rencontré à La Roche aux Fées sait répondre à ces questions. On ne peut pas divulguer tout ce qu'il nous a montré. Allez là-bas, marchez, regardez, rêvassez ...

Il nous a raccompagnées comme un maître de maison reconduit ses invités. On a repris le sentier. Le scarabée nous attendait. Alors on est vite reparties, parce qu'il ne faut jamais déranger les Petites Gens de la nuit.





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