Bon, bon bon, ça devient "fourre tout" ce blog
Certes. Mais voici une chronique qui ne paraîtra pas dans le numéro deux de l'Auxois-Morvan magazine auquel il était destiné. On l'a écrit alors on préfère penser qu'il sera lu...
Les Marcheurs de l'Auxois-Morvan II
Forêt
au duc
Sur
la place, le parking est plein. Le soleil n'est pas venu aujourd'hui
mais les parasols sont en terrasse. Sur le trottoir d'en face, des
gens font la queue pour du chocolat. Une dame regarde sa fille qui
étale entre la tasse de café et le verre plein de rose son coffre
aux trésors : une plume grise, trois cailloux, un pissenlit fané,
une petite coquille d’œuf brisée, un escargot vivant. « Tiens
Maman ». « Maman » recueille le pissenlit fané et
le pose en équilibre sur sa tasse. On écoute des gens se parler de
la grêle, de la voisine, des horaires de piscine. On ne dit rien
pendant que du vent s'amène, que des voitures se garent, que des
gens se baladent. Le soleil n'est pas venu mais comme il n'est pas
parti loin, il y a de la lumière qui traverse le gris des nuages.
On
ne dit rien, on revient de La Roche aux Fées.
On
suivait le chemin en discutant de tout de rien, du temps. Sur le
sentier, il y avait un scarabée en armure brillante. Le jour
s'effaçait, la lune était déjà là, pas bien sûre d'elle mais
accrochée aux cimes des sapins là-bas, loin. On a regardé le
scarabée et puis on a arrêté de parler. Les mains dans les poches,
on a continué, chacune à son rythme jusqu'à se perdre. On s'est
retrouvées devant un panneau « La Roche Aux Fées 30 mètres »
On
a avancé, à travers les arbres qui grinçaient on commençait à
apercevoir la pierre. Le soleil s'est caché en entier, plus de lueur
derrière les nuages, c'était gris presque noir. On s'est arrêtées.
Un arbre a craqué, c'était comme un souffle. On s'est tournées
pour le chercher. Il a craqué, c'était comme un cri. On l'a vu. Il
était juste devant nous, c'était comme s'il voulait nous parler.
« Il
dit : attention à la Mère Lusine.
-
Oui, j'entends ça aussi.
-
C'est vrai, alors, tu crois ?
-
Qu'il y a une Mère Lusine ? »
« Une
Mère Lusine » a répété l'arbre craquant.
Derrière
les nuages, ça s'est éclairé de nouveau, entre lune et soleil et
on a vu une silhouette comme sortie de l'arbre. C'était quelqu'un et
il se tenait juste devant, appuyé sur le tronc, ses cheveux mélangés
sur l'écorce et les pousses de branches.
« Des
fées ont habité là. Déjà au temps où les croyances saintes
venaient pousser les païennes. Des fées sont venues se réfugier
ici. Elles ont extirpé de la terre un palais de roche brute.
Laissant croire à ceux qui ne voulaient plus les voir que c'était
juste un gros rocher en forme de brioche. »
Un
peu surprises, ne sachant pas vraiment à qui on avait affaire, on a
quand même laissé s'emballer notre curiosité.
« Des
fées ?
-
Oui. Mais elles ne se montraient pas. Il y a beaucoup d'êtres ici,
qui ne se montrent que dans les rêves, les contes, les promenades
solitaires et les errances de rêveurs, vous ne le saviez pas ?
-
Si, sans doute, on le savait presque, on n'ose pas toujours y croire.
Et vous ?
-
Non, moi ce n'est pas pareil. Je suis elficologue, j'étudie,
j'observe, je cherche. Et parfois je trouve des âmes avec qui
partager. J'ai vu quelque chose d'extraordinaire aujourd'hui, ici.
Venez ! »
On
l'a suivi.
« Vous
voyez ceci ? »
On
a regardé : c'était de longs fils de toile d'araignée tendus
entre deux arbres.
« Dans
les livres, ça s'appelle des fils de la Vierge non ?
-
Ça s'appelait les fils des fées, nous a-t-il répondu, c'est
là-dessus qu'elles font sécher leurs jupes en pétales d'orchidée
sauvage et leurs corsages de mousse étoilée. Chut !
Écoutez ! »
On
a tendu l'oreille. On a entendu comme des chuchotis venant de dessous
les feuilles des chênes.
« Des
comptines. Ce sont des comptines jetées au vent, s'est écrié ce
drôle d'homme, vous n'entendez pas ? : lundi, mardi,
mercredi ... »
On
s'est bien concentrées. Oui, peut-être, mais ça n'était pas très
clair.
«
… jeudi, vendredi, samedi … Et voilà, elles recommencent. Si
vous aviez la chance qu'elles se montrent à vous, il suffirait de
leur apprendre que le dernier jour de la semaine est le dimanche et,
ravies, elles exauceraient votre vœu le plus cher. »
Puis
le vent s'est tu et on a plus rien entendu. On s'est assises contre
les pierres et on a écouté le drôle d'homme.
Il
y a des gens qui étudient nos dents, d'autres nos os, notre peau,
notre société, les roches, la mer. Des explorateurs pour découvrir
le monde, des astronomes pour chercher les étoiles. Pour le monde
des fées, qui fait partie du quotidien de ceux qui nous ont précédé,
il y a les elficologues. Que mange une Mère Lusine ? Où se cache La
Vouivre? De quels instruments jouent les Elfes ? Où vivent les Nains
?
L'homme
qu'on a rencontré à La Roche aux Fées sait répondre à ces
questions. On ne peut pas divulguer tout ce qu'il nous a montré.
Allez là-bas, marchez, regardez, rêvassez ...
Il
nous a raccompagnées comme un maître de maison reconduit ses
invités. On a repris le sentier. Le scarabée nous attendait. Alors
on est vite reparties, parce qu'il ne faut jamais déranger les
Petites Gens de la nuit.
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